Le vélo en marchant sur deux pieds

Le cycliste n’est ni une voiture lente, ni un mode de déplacement à part, mais plutôt un piéton véloce.

J’ai vécu à Rotterdam pendant plus de deux ans. Tous les jours, je faisais les 15 kilomètres qui me séparaient de mon travail à Delft en vélo.

Pourtant je ne me considère pas comme un cycliste. Mais plutôt comme un « piéton véloce » (délicieuse expression inventée par @pieton_veloce sur Twitter) parmi tant d’autres aux Pays-Bas. Tous les jours, je voyais des enfants en vélo. Je voyais qu’ils s’amusaient et discutaient avec leurs amis, les uns à côté des autres, sur le chemin de l’école le matin et sur le chemin du club de hockey en fin d’après-midi. Ceux qui ont une voiture aux Pays-Bas savent que conduire dans une rue où les cyclistes sont nombreux et imprédictibles n’est pas une tâche facile. Alors au moment d’enfourcher leurs bicyclettes ces automobilistes sont plus prudents et cherchent toujours le contact visuel avec tous les usagers de la route.

En dehors des Pays-Bas, la situation n’est pas encore telle qu’il est possible de compter sur le comportement prudent et civil des cyclistes qui seraient par ailleurs automobilistes (et inversement). Cependant, il est possible de changer d’ors et déjà de paradigme.

Le cycliste est un piéton sur roues, un piéton véloce !

un à coté - vélo

En quoi le cycliste s’apparente t-il mieux au piéton ? Qu’ont-ils en commun ?

Ceux qui ont eu la chance de voyager ou d’habiter aux Pays-Bas, auront observé dans la rue que …

à pied comme à vélo le parapluie est de sortie (d’octobre à juin)

à pied comme à vélo on va et vient à la gare pour le week-end accompagné de sa valise

à pied comme à vélo, le bébé suit ses parents partout

à pied comme à vélo, on n’est pas limité par l’espace

à pied comme à vélo, on se déplace l’un à côté de l’autre

Ces derniers temps la bicyclette est réapparue dans le paysage urbain. Sur le papier, tout le monde s’entend dire que c’est une bonne chose. Dans les faits, les mobilistes urbains rapportent des tensions dont différents blogs et réseaux sociaux se font les échos. L’extrême violence de certains des propos me pose question. Comment sommes-nous arrivés à un tel niveau de violence et de haine dans des espaces dits « public » ? Les cyclistes seraient des kamikazes verts. Les automobilistes des incivils se garant sur toutes les pistes cyclables. Les piétons des victimes du développement du vélo.

L’enjeu est de dépasser la violence routière, la haine et les controverses stériles. On avance souvent et fatalement que les néerlandais sont doués d’une gêne additionnelle qui expliquerait le climat social apaisé dans lequel ils prospèrent. Quoi qu’il en soit, il existe une approche permettant de dépassionner les débats : arrêtons de parler de vélo ! Parlons plutôt de sécurité routière, de santé publique, de rues pour les enfants, etc. Ces approches ont à la fois l’avantage d’être consensuelles _ et donc d’éviter le piège de la controverse stérile _ et d’offrir l’opportunité d’une politique transversale. Une politique de promotion couronnée de succès est une politique qui promeut la lenteur, la sécurité, la santé, l’économie locale, l’habitabilité et l’accessibilité pour tous. De fait, ces sujets dépassent tous les à priori associés au vélo et semblent être au bénéfice de tous.

Cycliste = piéton véloce, qu’elles conséquences pour la planification urbaine?

1 – Le cycliste se comporte comme le piéton

Le rapprochement s’opère. Le cycliste, comme le piéton …

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Ces aspects ne peuvent être négligés car ils rendent compte du caractère humain de la pratique du vélo. En en faisant abstraction, on ne peut pas rendre la pratique du vélo accessible à tous.

Par ailleurs, le cycliste, comme le piéton, doit pouvoir accéder partout et sans détour. Voyez sur ces deux photos à quel point le cycliste, comme le piéton, est « faignant ».

2 – Le cycliste ne peut être uniquement un véhicule

Vous savez ce qui se passe quand une voiture circule sur une voie ferrée. Il se passe à peu près la même chose quand un cycliste partage la route avec un trafic motorisé important et rapide. Au Pays-Bas, le vélo n’est pas considéré comme un véhicule du point de vue de l’image et de la planification urbaine. Dans les années 1970, quand la pratique du vélo renaît aux Pays-Bas, il n’a jamais été question de donner aux cyclistes les mêmes droits qu’aux automobilistes. Le vélo est considéré par les ingénieurs trafic et urbanistes comme un mode LENT au même titre que la marche. Si on donne au cycliste les mêmes droits qu’à l’automobiliste, on attend en retour le respect des mêmes devoirs; or, le cycliste se distingue de l’automobiliste et n’est pas supposé accélérer et freiner comme le font les automobilistes. Par conséquent, aux Pays-Bas il n’a jamais été question de donner les mêmes droits à l’enfant sur son vélo et à l’homme d’affaire dans sa voiture. Mais il s’agit plutôt du droit d’être protégé en tant que personne vulnérable, d’avoir la même valeur et par conséquent d’être différent! Le trafic rapide est différent du trafic lent et doit donc pouvoir bénéficier d’aménagements différents. Il s’agit d’une des conditions fondamentales de la planification des transports aux Pays-Bas. L’idée est donc d’aménager pour tous et pour se faire il faut changer de paradigme. On voit bien qu’il n’est plus uniquement question de modes et de tensions stériles mais qu’il est plutôt question de la spécificité de chacun quant à ses capacités à s’intégrer aux trafics. C’est dans ce cadre qu’il me paraît important d’aborder le cycliste d’abord comme un piéton véloce.

3 – Les cloisons se désamorcent

Ces dernières années, nous avons vu se développer toutes sortes de nouveaux modes de transport : skateboard, trottinette, segway, velo-cargo, monowheel, scooter électrique, vélo à assistance électrique, speed pedalec, etc. Le triptyque Voiture / Vélo / Piéton explose! Continuerons nous à attiser les tensions stériles, voire de les multiplier compte tenu de tous ces nouveaux modes? Plus que jamais, le regroupement des modes par familles, la hiérarchisation des espaces et des vitesses est nécessaire pour rétablir une distribution appropriée de l’espace.

A l’avenir les modes ne seront plus associés aux personnes mais plutôt aux usages, grâce au développement de l’intermodalité, et cela contribuera à dépassionner les pratiques de la mobilité pour permettre une meilleure cohabitation de tous dans l’espace public. Il s’agirait alors de changer l’image du vélo et de repenser les conditions de la planification des transports et du partage de l’espace public.

Au delà du débat Sécurité Vs Fluidité et du débat Trafic Vs Urbanité, l’espace public du futur sera pluriel. Il sera adapté aux vitesses et fonctions plurielles qu’il supporte. Il sera conçu sur la base des caractéristiques propres aux différents modes. Les tensions stériles seront désamorcées par un partage appropriée de l’espace, par la lente reconnaissance de la diversité des modes et par le dé-passionnément des différentes cultures modales.

Je ne suis pas un cycliste !

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